Article publié en Israël, par le journal Globus, 13-19 mai 2021.
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La direction d’une communauté juive a l’intention de démolir sa synagogue d’exception à Paris.
La démolition d’une synagogue centenaire à Paris ?
Le 17 avril, l’APPC (une association qui tente de sauvegarder la synagogue de la rue Copernic à Paris) a déposé un recours en appel auprès du tribunal administratif de Paris, contestant le refus d’une institution gouvernementale [de la DRAC, NdT] d’accorder à la synagogue le statut de monument historique, malgré de nombreuses expertises qualifiées.
« Si nous perdons le procès au tribunal, les efforts que nous faisons depuis quatre ans, seront annulés, et le bâtiment d’une valeur historique et architecturale éminente disparaîtra tout simplement », a déclaré Eva Hein-Kunze, présidente de l’APPC.
Selon ses propos, toute ce remous autour de l’idée de démolition de l’ancienne synagogue a commencé il y a cinq ans quand Jean-François Bensahel, président de l’ULIF (Union Libérale Israélite de France) annonca le projet de « reconstruction » de la synagogue (1). Eva Hein-Kunze explique que non seulement ce projet fut gardé secret pendant longtemps sans qu’aucun détail ne fût présenté à la communauté, mais aussi, que ce projet de « reconstruction » signifiait la démolition au préalable de tout le bâtiment.
Selon Irina Tsitovitch, professeur à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), la salle de culte de la synagogue, située dans le 16e arrondissement de Paris, au 24, rue Copernic, est un joyau du style architectural Art Déco ; elle est la plus ancienne synagogue libérale en France. Elle a été construite entre 1921 et 1923 (2), et a survécu à deux événements tragiques : en 1941 (3) et, en 1980, à un attentat terroriste (4). Le soir du shabbat, le 3 octobre 1980, une bombe a explosé devant cette synagogue. La salle de prière débordait de fidèles : environ 300 [150, NdT] personnes étaient présentes. L’attaque fit quatre victimes: trois citoyens français et une Israélienne, Aliza Shagrir. Quarante autres personnes ont été blessées. La synagogue a été restaurée par les soins des fidèles.
Le trésor architectural principal de cette synagogue est le décor en style Art Déco de la salle de culte, cachée derrière une façade modeste. Elle est ornée de frises murales en lettres hébraïques et éclairiée par un vitrail zénithal et son lanterneau adapté – l’œuvre de l’architecte parisien Marcel Lemarié (1864-1941). Il n’est pas anodin de faire remarquer ici que la synagogue Copernic est un de deux exemples de l’œuvre de Lemarié existant encore à Paris. (Cet architecte, diplômé de l’École des Beaux-Arts – est connu pour son projet du Palais de la Danse à l’Exposition universelle de 1900, et d’un édifice au 93, boulevard du Montparnasse). Un autre artiste français, Pierre-Jules Tranchant, maître verrier, a également contribué à la réalisation de cette synagogue.
Selon l’affirmation d’Irina Tsitovitch, la démolition d’un tel monument historique et culturel serait un acte de vandalisme. L’Association pour la Protection du Patrimoine de Copernic à Paris (APPC), présidée par Eva Hein-Kunze, a été créée pour empêcher la réalisation de ce dessein. Aujourd’hui, l’APPC, qui compte plus de 120 membres y compris d’anciens fidèles de la synagogue, a lancé une pétition pour la préservation de l’édifice historique, et a recueilli à ce jour 10650 signatures de soutien (5). Des journalistes et architectes de renom se sont également prononcés pour la défense de la synagogue historique.
Avant de déposer le recours au tribunal, Eva Hein-Kunze et les membres du bureau de l’APPC ont eu rendez-vous à la mairie du 16e arrondissement de Paris, dans lequel se trouve la synagogue, mais malheureusement, cette rencontre n’a pas encore porté ses fruits (6). Les autorités parisiennes ne se montrent pas désireuses de s’immiscer dans l’affaire et suggèrent que l’association APPC négocie directement avec celle de l’ULIF.
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Eva, quelle est, de votre point de vue, la cause essentielle du différend avec la présidence de l’ULIF ? Quand ce différend a-t-il commencé, ou quel est son point de départ ?
Je pourrais indiquer plusieurs causes, mais je pense qu’ici c’est avant tout une ambition personnelle qui prévaut sur les intérêts de la communauté. Deuxièmement, pour contrecarrer la fonte persistante du nombre de fidèles et pour capter de nouvelles subventions de la mairie de Paris, le Conseil de l’Administration de l’ULIF-Copernic souhaite élargir les prestations culturelles de la communauté. Troisièmement, il a besoin d’augmenter sa visibilité et la puissance de sa voix en tant que communauté libérale face au Consistoire (le Consistoire est l’institution créée par Napoléon Ier pour administrer le culte israélite en France, et qui existe toujours – Detali). C’est dans ce but que, sous l’impulsion du président actuel de l’ULIF, Jean-François Bensahel, qu’a été créé fin 2019, le JEM, « Judaïsme en Mouvement », issu de la fusion entre les deux grandes communautés libérales de Paris : l’ULIF-Copernic et le MJLF (Mouvement Juif Libéral de France). Pour rendre manifeste cette nouvelle communauté, il lui fallait une nouvelle maison bien en vue, même ostentatoire, dans la rue Copernic, à la place de l’ancienne synagogue – comme une sorte de démonstration de visibilité. C’est ainsi que le Conseil d’administration de l’ULIF a opté pour la construction d’un centre cultuel et socio-culturel à la place de l’ancienne synagogue. L’unification [de ces deux communautés, NdT], bien sûr, est peut-être une chose utile, mais justifie-elle de sacrifier un édifice emblématique? Je pense que la réponse de l’administration de l’ULIF à cette question diffère de la nôtre. Voilà, d’où viennent nos différends.
Et quand ces différends ont-ils débuté ?
Il y a cinq ans, le Conseil d’Administration de l’ULIF nous a surpris, lors de la présentation du projet intitulé « Votre nouvelle synagogue », provenant de l’agence Valode et Pistre. Il fut exposé au foyer du Palais de Congrès où la communauté célébrait les Fêtes de Tichri de 5777. La communauté avait déjà été informée que sa synagogue devait être mise aux nouvelles normes sécuritaires européennes 2015 , et avait globalement accepté cette perspective. Mais elle ignorait – ce que les photos démontraient à présent de façon évidente – que le projet de Valode et Pistre impliquait la démolition intégrale au préalable de l’édifice historique. Vous pouvez comprendre, que les paroles du président de l’ULIF « On vous a concocté un beau projet ! », ont résonné comme une gifle à nos oreilles. C’est ainsi que tout a commencé. Mon mari, Léo Heinquet, et moi-même, avons immédiatement adressé une lettre de protestation à monsieur Bensahel.
Mais vous êtes vous-même d’accord, Eva, pour dire que la synagogue a besoin de rénovation ?
La seule question est de savoir ce qu’il faut rénover (7). On a mis deux ans à construire la synagogue (1921 – 1923). Les structures du bâtiment sont suffisamment solides. S’il y avait eu la moindre crainte à ce sujet, la préfecture y aurait interdit les grands rassemblements depuis longtemps. Nous avons contacté en privé un architecte expert du XXe s. qui a regardé (superficiellement) l’état actuel du bâtiment et n’a trouvé aucune fissure alarmante.
Peut-être que le Conseil d’administration de l’ULIF a une autre opinion sur cette question ?
Je n’en sais rien, le Conseil d’administration ne nous a fourni aucun document à ce sujet, malgré nos demandes (8). De même, il a renoncé à nous communiquer les constats de la commission sécuritaire municipale qui aurait fait l’expertise du bâtiment.
La synagogue, a-t-elle été modifiée à un moment donné de son existence ?
En 1960, l’édifice fut rehaussé de deux étages, ce qui lui donne, actuellement, un aspect extérieur un peu “bâtard”, sans que celui-ci dérange l’homogénéité préservée de la rue Copernic.
La synagogue a évidemment besoin d’un rafraichissement général (une mise aux normes des installations électriques et sanitaires, et une révision de la circulation des visiteurs), et de deux ascenseurs pour le confort des fidèles (à cette fin, la Ville de Paris a déjà promis un petit terrain voisin, appartenant actuellement à la Société des Eaux de la ville).
Mais ce qui fait la richesse de ce lieu, et ce que nous souhaiterions absolument voir conservé, pour nous et pour les futures générations, c’est sa salle de culte Art Déco.
Cette démolition pourrait être empêchée si l’édifice était classé comme monument historique et architectural. Pourquoi, à votre avis, la DRAC refuse-t-elle de le faire ?
Elle s’appuie sur un avis qui date du milieu des années 1980 : le dossier de la synagogue Copernic a été examiné, et non retenu [à cette époque-là, NdT]. Il faut savoir qu’en 1980, le grand public ne s’intéressait pas encore au patrimoine Art Déco. Les examens ultérieurs, qui ont eu lieu à peu près tous les dix ans, et notamment lors de la campagne de labellisation « Patrimoine du XXe siècle » des édifices cultuels d’Île-de-France, se sont tous référés à ce premier avis négatif. C’est seulement depuis la rénovation d’une partie du Palais du Trocadéro et du Musée de la Porte Dorée (dans les premières années du XXIe siècle) que le public Parisien prit conscience de la beauté et de la valeur de son patrimoine Art Déco. Je pourrais me référer à l’opinion de Dominique Jarrassé, le grand spécialiste de l’architecture synagogale, qui déplore, dans ce contexte, l’absence d’une politique rationnelle à cet égard, et affirme que la non-protection de l’édifice est le fruit d’une double méconnaissance, tant de la part des instances compétentes que de la plupart des membres de l’Union Libérale Israélite de France. Notons que Serge Brentrup, architecte, urbaniste et un des membres de la commission d’examen, ne s’est pas opposé, personnellement, à notre cause [la conservation de la synagogue historique, NdT]. [...] Il nous paraît impossible d’envisager la démolition de la synagogue sachant qu’elle représente un symbole des événements tragiques de 1941 et 1980.
Jean-François Bensahel est le président de la communauté depuis 2011. Dès son entrée en fonction, il avança l’idée d’un nouveau centre cultuel et socio-culturel « le Nouveau Copernic » qui exigeait, au préalable, la démolition de la synagogue historique. Il est à remarquer qu’il avait parlé de « renouvellement », d’« agrandissement », de « travaux» etc., alors que les termes démolition et destruction avaient été soigneusement écartés. En septembre 2019, la gestion du 24, rue Copernic (la synagogue) fut transférée à une association créée pour l’occasion : « Le 26 », une association à caractère culturel. Durant trente-cinq ans, un bail emphytéotique lui permet désormais de prendre toutes les décisions concernant l’édifice et les travaux de la synagogue. Actuellement, la synagogue est dans un état volontairement négligé, on s’abstient d’effectuer tous travaux de conservation… Oui, une rénovation respectueuse s’impose !
Comment la décision de créer le projet « La nouvelle synagogue » a été prise ?
Lors de l’Assemblée Générale du 20 mars 2018, le Conseil d’Administration a amené la communauté (en toute ignorance de cause) à voter, par un scrutin à mains levées, pour un « Nouveau Copernic » (sans souligner la démolition intégrale au préalable). Les participants réagissaient comme tous ceux qui ont une fringale du nouveau, sans se rendre compte de toutes les implications que ce projet comportait. Ici, il faut absolument montrer du doigt les méconnaissances et inerties d’une partie de la communauté par rapport au patrimoine architectural et même mémoriel représentée ici par la synagogue Copernic.
Expliquez, s’il vous plaît, la relation entre la communauté et les propriétaires du bâtiment.
Qui sont-ils, quelle institution prend toutes les décisions concernant l’état du bâtiment ?
Depuis cent ans, la communauté ULI (ULIF-Copernic, après 1945) est propriétaire légale du bâtiment du 24, rue Copernic, où se trouve la synagogue aussi bien que les locaux administratifs et le Talmud-Tora. L’édifice est géré par le Conseil d’administration, élu temporairement par la communauté ; c’est lui qui prend toutes les décisions concernant l’état de la synagogue et sa conservation.
Est-il possible d’entamer un débat public sur le projet ?
Nous avons essayé d’y parvenir. Mais nous n’avons pas été autorisés à exprimer notre point de vue dans la publication trimestrielle d’ULIF-Copernic : les responsables du Conseil d’administration ont empêché tout échange d’information à l’intérieur de la synagogue, et lorsque nous avons commencé à exprimer notre point de vue sur les réseaux sociaux, nous avons été exclus de l’ULIF. De grands journaux nationaux hésitent à se mêler de ce qui concerne la communauté juive : un sujet “délicat” par les temps qui courent. De même, les grandes institutions juives se réfugient derrière leur obligation de réserve.
[...]
Si ce débat public avait lieu, quelles questions poseriez-vous au Conseil d’Administration ?
Évidemment, nous aurions des questions très précises à poser sur le projet. On demanderait de voir les expertises de sécurité (elles sont toujours obsolètes après un certain délai, c’est pourquoi il existe des dérogations ponctuelles pour les édifices historiques), et on poserait des questions sur le financement d’un chantier qui a été évalué à 25 millions d’euros, dont 500 000 ont déjà été payés à l’agence d’architecture Valode & Pistre. Depuis 2018, l’APPC demande en vain au Conseil d’Administration de montrer le projet de financement du « Nouveau Copernic ». Nous souhaiterions également savoir qui a financé les études de l’agence Valode et Pistre et quelle instance a donné son accord et pourquoi la gestion du bâtiment de la synagogue fut transférée à l’association « Le 26 ».
Postscriptum
Pendant trois semaines, les journalistes de Detali ont essayé d’avoir des réponses à leurs questions de la part de l’ULIF et de la mairie de Paris. A ce jour n’avons pas de réponse
Notes rectificatives
1. Il s’agit plutôt de ce que l’ULIF nomme le « Nouveau Copernic ».2. En réalité, après la construction, en 1923.3. Un attentat à la bombe de la Milice Française associée à la Gestapo nazie. 4. Attentat perpétré par le groupe Abou Nidal.5. 10 640 signatures. 6. Cette information n’est pas tout à fait exacte : nous avons obtenu que le Conseil de Paris souhaita officiellement qu’il y ait une coopération entre APPC et les responsables du nouveau projet – et une rencontre a, effectivement, eu lieu. 7. Il va de soi que nous sommes totalement d’accord avec la nécessité d’une rénovation. 8. Ces demandes ont été communiquées par nos avocats. Marc KOTLIARSKI, pour Detali /
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