Chers amis,
Je vous adresse, avec cette lettre, un dessin extrait de mon carnet de croquis, que j’ai effectué au mois de mars dernier lors de mon séjour à Jérusalem. Je n’ai pas choisi ce dessin pour vous par hasard, il s’agit de la synagogue 'Hourva (qui signifie “ruine”) située dans le quartier juif de la vielle ville de Jérusalem. Vous allez voir que l’histoire mouvementée de la synagogue 'Hourva permet, selon moi, d’éclairer la noble cause que vous défendez sous un jour nouveau…
Cette synagogue reconstruite il y a à peine une dizaine d’années, est située sur le site d’une première synagogue qui aurait été érigée au IIe siècle. Il est également question d’une synagogue érigée sur le même lieu au XIIIe siècle pour la communauté ashkénaze de Jérusalem.
En 1700, Yehouda he-Hassid arrive de Pologne avec sa communauté (près d’un millier de juifs) qui tentera de faire reconstruire, après sa mort, une synagogue sur cet emplacement avec un centre communautaire et des habitations. Interdit par les turcs, ce projet de reconstruction sera finalement accepté et entrepris moyennant d’importants versements et dons exigés par les pachas successifs du régime ottoman corrompu qui occupait alors Erets Israël. Incapable de s’acquitter de ces prélèvements arbitraires, la communauté sera contrainte de s’endetter en empruntant aux turcs à des taux exorbitants. Ne pouvant rembourser ces emprunts dans les délais impartis, la communauté ashkénaze de Jérusalem sera expulsée de la ville et les turcs mettront le feu au bâtiment en 1721, dont subsistera une ruine. À partir de là l’histoire se complique ; nombreuses tractations des juifs auprès des autorités pour obtenir l’autorisation de reconstruire qui n’aboutissent pas, tentatives d’annulation des dettes contractées auprès de l’occupant, désaccords et divergences de vues entre les différentes communautés juives présentes en Erets Israël et nouvellement émigrées pour pouvoir mener à bien le projet de reconstruction, mais surtout refus des turcs.
L’idée qui prime est que la reconstruction d’un édifice de culte représente un premier pas vers la reconstruction de la ville entière, condition sine qua non de la venue du Machia’h. Symbolique kabbalistique de la reconstruction d’un édifice à partir de ses ruines…, comme ce fut le cas à deux reprises suite aux attentats perpétrés contre la synagogue de la rue Copernic, en 1941, puis en 1980 !
Il faudra attendre le XIXe siècle avec la perte d’influence des ottomans, l’influence du gouvernement britannique et l’appui politique et financier de Moïse Montefiore pour que les turcs acceptent le principe d’une nouvelle reconstruction. Une collecte de fonds permettra de poser la première pierre de la nouvelle synagogue en 1857 et de la consacrer en 1864, en présence des Rothschild qui auront permis de mener le projet à son terme et d’en faire alors la plus grande synagogue de Jérusalem.
Bastion de la résistance juive et camp retranché de la Haganah durant la Guerre d’indépendance, la synagogue sera intégralement détruite aux explosifs par la légion jordanienne en 1948.
En 1967, après la Guerre des Six jours et la réappropriation de la vieille ville, la question d’une nouvelle reconstruction se pose encore une fois. Un débat passionné divise alors les partisans d’une reconstruction à l’identique de ceux qui tentent de justifier une création moderne. Le devoir de mémoire implique-t-il une reconstruction à l’identique ou peut-il se réduire uniquement au lieu et à la fonction, quitte à construire un édifice de culte sans liens avec la construction préexistante.
Sujet sur lequel nous sommes en profond désaccord avec la position prise par le ministère de la culture le 27 septembre 2018, lorsqu’elle a statué en défaveur de notre demande d’inscription au titre des monuments historiques.
Le projet du grand architecte juif-américain, Louis Kahn, prévoyait un édifice hors du commun, d’une qualité architecturale exceptionnelle, bâti juste à côté des ruines qui devaient être conservées in situ en guise de témoignage. Étrangement, je l’ai visité en rêve il y a très longtemps, si bien que j’ai été persuadé pendant longtemps que le projet avait été réalisé… peut-être trop audacieux, ce projet n’a pas été retenu, et n’a donc jamais vu le jour.
Plus tard, un autre projet de reconstruction jugé pas assez fidèle à l’original a été rejeté par Menahem Begin. Il faudra attendre l’an 2000 pour que les plans de la nouvelle synagogue soient enfin acceptés par le gouvernement israélien. Il s’agissait d’un projet de l’architecte de Jérusalem, Meltzer, qui déclarait : « aussi bien pour le respect de la mémoire historique du peuple juif que pour le respect de la zone à construire de la vieille ville, il est de notre devoir de restaurer la gloire perdue et de reconstruire la synagogue Hourva comme elle était».
Il a donc été acté par le gouvernement israélien une reconstruction à l’identique, justement en raison du devoir de mémoire et du respect de l’histoire. Étrange de constater le débat actuel autour de Notre-Dame de Paris entre conservateurs, partisans d’une reconstruction à l’identique, et volonté affichée d’“innover” et de transformer un édifice qui appartient au patrimoine mondial de l’humanité, quitte à ce que l’on s’affranchisse du devoir de mémoire et de transmission d’un chef d’œuvre de l’histoire aux générations futures.
La reconstruction débutera en 2005 et s’achèvera en 2010, le premier rabbin de la synagogue reconstruite sera Simha Ha-Cohen Kook (je ne connais pas son lien de parenté avec le rav Kook).
Le grand temple de Jérusalem n’a pas été rebâti depuis la destruction du 9 Av, et ne le sera sans doute jamais, en tout cas pas dans le contexte actuel… La synagogue Hourva, elle, a pu renaître de ses cendres et à plusieurs reprises. En se référant à cette histoire, comment ne pas faire le lien avec le combat que vous menez pour la préservation de la synagogue Copernic qui est aujourd’hui à nouveau menacée. Le paradoxe étant que cette menace vient cette fois-ci de l’intérieur, et non de l’ennemi babylonien, romain ou jordanien. Au moins, pour la dernière reconstruction de la 'Hourva, il y a eu un débat ouvert sur le sujet permettant d’aboutir à la bonne décision.
Puisse cette histoire vous inspirer pour la suite.
Pierre WOZNICA, architecte du patrimoine
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